L'ascension et la chute des communistes cambodgiens

Publié le par Sacha Sher

(Un résumé de ma thèse ayant servi à un article de wikipedia)

dimanche 20 Février 2005

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Les dirigeants révolutionnaires cambodgiens sont issus de familles de la bourgeoisie. Ils ont atteint l'adolescence au moment où des compatriotes luttaient politiquement ou avec les armes pour l'indépendance et l'autodétermination. Dans une atmosphère parisienne cosmopolite et propice aux échanges d'idées, ils acquirent des outils idéologiques d'affranchissement mental vis-à-vis des pouvoirs en place. Ils se rangeaient alors du côté des exploités et des pays dits socialistes.

Une fois rentrés au Cambodge, ils tentèrent de développer un mouvement d'élévation des conditions de vie en entamant un travail d'éducation politique auprès, surtout, de leurs élèves. Sous le Sangkum, la participation gouvernementale de quelques intellectuels progressistes resta provisoire et symbolique. Les réformes qu'ils envisageaient d'appliquer ne passaient pas ou étaient récupérées et transformés par Sihanouk. Voyant qu'ils n'avaient aucune prise sur un monde politique corrompu et inféodé aux mêmes figures réactionnaires indétrônables, voyant qu'ils manquaient de moyens financiers et humains dans la capitale, et voyant de surcroît qu'ils seraient réprimés à brève échéance, le chefs du Parti révolutionnaire prirent le maquis en 1962 dans des bases tenues par le Front de Libération Nationale du Sud-Vietnam. Ils apprirent alors les fondements de la gestion politique de la population et du contrôle policier qu'ils allaient appliquer une fois au pouvoir. En 1968, un an après la révolte paysanne de Samlaut dans le Nord-Ouest, ils lancèrent la lutte armée. En 1968-1969, de nombreux intellectuels en butte à des persécutions politiques les rejoignirent dans le maquis.


A l'époque, les révolutionnaires communites ne disposaient de l'aide de personne, pas même du Vietnam. Ce n'est qu'en 1970 que l'extension de la guerre du Vietnam leur apporta des soutiens prestigieux (Sihanouk en exil, Nord-Vietnam, Chine). La barbarie des bombardements américains en tapis et la corruption et l'impéritie du gouvernement de Lon Nol permirent au parti d'implanter des bases de contestation et de recruter des combattants. C'est essentiellement à cette période que furent expérimentés nombre de principes futurs de la révolution d'avril 1975 : indépendance-maîtrise, autarcie régionale, prise en main centralisée des échanges économiques, militarisation de la force du travail, etc.


En 1975, Phnom Penh fut vidée et sa population envoyée dans les coopératives pour travailler et être surveillée afin d'éviter une contre-révolution. En 1976-1977, l'alimentation en commun fut définitivement mise en place pour assurer l'égalité des rations - chose qui ne fut généralement pas respectée. Ce type d'organisation ne fut pas répudié lors des rectifications ultimes de l'année 1978. Le "Kampuchéa nouveau à tous les égards" chercha à rééduquer l'ensemble de la population pour détruire l'idée de propriété privée. A cette fin, le Parti-Etat devait, selon Pol Pot, s'immiscer dans tous les recoins de la société. Même au niveau des ministères, les réunions de critique et d'autocritique fustigeant l'individualisme étaient fréquentes, et les cadres étaient appelés à se reconstruire et à se forger dans le sens d'une soumission à l'Organisation révolutionnaire.


Il en résulta un contrôle policier des comportements et des pensées particulièrement inquisitorial, ainsi que des appels constants à la vigilance révolutionnaire vis-à-vis des "mauvais éléments" et des ennemis, en même temps que des appels à ne pas être trop à gauche (même si le plus important était de ne pas être trop à droite). Toutefois, toutes les strates du nouveau pouvoir n'étaient pas contrôlées et les abus de pouvoir de cadres insuffisamment formés ou remis en question furent légions. Le peuple n'avait jamais été éduqué à l'esprit de contradiction et certains cadres ne laissient pas le peuple s'exprimer. On assista donc au phénomène prévisible de la dérive autoritaire de la révolution par les mains des révolutionnaires eux-même, tel qu'il fut merveilleusement prédit ou décrit par Georges Orwell dans sa fable politique La Ferme des Animaux.


La situation économique se dégradant d'année en année, la recherche de boucs émissaires et les tricheries multiples rendirent la situation particulièrement angoissante et invivable. Des gens disparaissaient ailleurs sans qu'on ne les revit plus. La nourriture dans les grosses marmites, pour peu qu'elle fût suffisante, n'était jamais savoureuse.


Le pouvoir central du parti avait confiance en sa bonne direction clairvoyante et n'était pas enclin à remettre en question les principes de base de sa ligne (alimentation en commun, autarcie régionale, rendement de trois tonnes de paddy par hectare, absence de rangs dans l'armée, éducation des enfants en commun, rééducation prolongée des intellectuels patriotes...), aussi n'est-ce qu'en 1977 qu'il s'inquiéta de certaines situations et qu'il prit des mesures de reprise en main en déclenchant des purges au sein du Parti. Ce sont ces purges en vue d'une meilleure application de la politique échafaudée en haut lieu qui remplirent, prison après prison, le sinistre centre d'interrogation et d'exécution S-21, construit dans l'ancien lycée de Tuol Sleng.


En janvier 1979, le Vietnam mit fin à ce régime qui refusait de coopérer économiquement après avoir perdu sa confiance en son voisin et grand frère en révolution. Les incidents de frontières s'étaient multipliés, en partie en raison de la pénurie qui y régnait. Sans doute la République Socialiste du Vietnam avait-elle perçu, par le biais de défections de cadres et de ses propres incursions en territoire cambodgien, que les fruits de la révolution tant célébrés étaient définitivement moisis et que le régime du Kampuchéa Démocratique tomberait quasiment de lui-même après un petit coup de pouce.


Sacha SHER est l'auteur de Le Kampuchéa des "Khmers rouges" : essai de compréhension d'une tentative de révolution, l'Harmattan, 2004. Cet ouvrage est issu de la deuxième partie de sa thèse. La première partie, remaniée en vue d'une publication, est consultable entièrement à http://khmersrouges.chez.tiscali.fr.

 

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