Passé prérévolutionnaire des Khmers rouges, chapitre 4 début

Publié le par Sacha Sher

 

 

I. Le Parti Communiste Français dans les années cinquante.

 

Après la libération de la France de l’occupation allemande en 1945, le Parti Communiste Français représentait près du quart de l’électorat, 28,6 % en 1946, 26,6% en 1951, 25,6 % en 1956. En pourcentage des voix exprimées aux législatives, il était, jusqu’en 1958, le premier parti de France, même si les réformes électorales qui se succédaient ne favorisaient pas sa représentation à l’Assemblée Nationale. Tous les 1er mai, la Confédération Générale des Travailleurs faisait massivement défiler ses militants pour la « fête du travail ».

Après la guerre, le P.C.F. jouait abondamment de son image patriotique de « Parti des "75 000" fusillés » (chiffre surestimé). En 1951, Louis Aragon terminait le dernier tome des Communistes, célèbre roman sur le patriotisme des résistants Francs Tireurs Partisans communistes combattant le national-socialisme.

Lorsque Saloth Sar, Ieng Sary, et d’autres Cambodgiens arrivèrent à Paris en 1949-1950, le culte de Staline était à son comble. En 1949, la célébration de son 70e anniversaire avait occasionné une immense collecte d’argent destiné à lui envoyer des cadeaux. Les communistes chinois venaient de triompher. Et la France était en conflit depuis trois ans avec le Front National Vietnamien soutenu par la Chine. Dans les années quarante, le P.C.F. avait conseillé aux révolutionnaires vietnamiens d’éviter toute aventure prématurée et de ne pas élargir le mouvement indépendantiste à des forces non révolutionnaires. Il s’était également tu sur la violation par les autorités françaises des accords d’indépendance prévus dans le cadre de l’Union Française (juillet 1946), il était resté silencieux sur le bombardement d’Haiphong (novembre 1946), il s’était simplement abstenu de voter les crédits de guerre (mars 1947) et s’était contenté d’une opposition verbale à la guerre (hormis quelques blocages de transports de matériel de guerre vite arrêtés devant la répression policière). Ce n’est qu’à partir de janvier 1950, lorsque l’U.R.S.S. reconnut la République Démocratique du Vietnam, que le P.C.F. renoua des relations d’entente vérifiable avec le mouvement révolutionnaire vietnamien [1], et que les numéros du quotidien communiste l’Humanité ne désemplirent plus d’articles sur l’horreur de la guerre impérialiste en Indochine. Jusqu’en 1954, en dehors du P.C.F., seuls le général Leclerc [2], quelques personnalités de la SFIO, ou les chrétiens de l’hebdomadaire Témoignage chrétien s’opposèrent à cette « sale guerre ». Le P.C.F., relayé par des « organisations démocratiques » comme la C.G.T. ou le Secours Populaire Français, fut ainsi le maître d’œuvre d’une longue campagne de protestation contre l’enfermement de deux opposants à la guerre, Raymonde Dien, à partir de février 1950, et Henri Martin, de 1950 à 1953. Martin avait assisté au bombardement du port d’Haiphong en tant que quartier-maître de la marine. Revenu d’Indochine en décembre 1947, il avait distribué des tracts à Toulon contre la « sale guerre », et avait été faussement accusé de sabotage à l’arsenal de cette cité portuaire [3]. Un appel au sabotage de la fabrication et du transport du matériel de guerre fut cependant lancé le 13 mai 1952 par le membre du Bureau Politique du P.C.F. Raymond Guyot, devant des militants réunis à la salle de la Mutualité de Paris, en même temps qu’un mot d’ordre de fraternisation avec les combattants Viêtminh [4].

La campagne pour la libération d’Henri Martin reçut le soutien de Jean-Paul Sartre en janvier 1952. Ce dernier s’était également rendu au festival mondial de la jeunesse de Berlin-Est en 1951 avec Simone de Beauvoir. Devenu compagnon de route du P.C.F. en juin 1952, il avait entraîné, dans son sillage, de larges adhésions. Quand l’Humanité décrivait l’U.R.S.S. comme le « pays des aujourd’hui qui chantent », Sartre affirmait que « le révolutionnaire qui vit à notre époque... doit associer indissolublement la cause de l’U.R.S.S. et celle du prolétariat » [5] . Cette période d’actions de masse du P.C.F. contre la sale guerre et la « bestiale répression » menée par le gouvernement français semble avoir constitué un tournant dans l’engagement de nombre de Cambodgiens auprès du P.C.F. C’est en 1952 que Saloth Sar / Pol Pot en serait devenu membre.

Cette époque était aussi celle où le P.C.F., en accord avec les déclarations nord-coréennes et soviétiques, s’opposait radicalement à la guerre « biologique » [6] , ou bactériologique d’ « agression » menée par les Américains en Corée depuis la moitié de l’année 1950. La venue du général Ridgway (baptisé « Ridgway-la-peste ») à Paris le 28 mai 1952, pour prendre le commandement de l’OTAN, fut l’occasion de violentes manifestations d’opposition de la part de militants enclins à croire qu’il s’agissait là d’une menace pour l’U.R.S.S.. Le conflit mit du temps à s’apaiser. Les bâtiments de l’Humanité furent saisis mais sa publication ne fut pas interrompue. Le P.C.F. prétendait défendre l’indépendance nationale contre l’impérialisme américain, contre l’O.T.A.N., et contre le réarmement de l’Europe sous la conduite des Etats-Unis. « US go home ! », criaient les communistes contre les « brigands G.I. ». « Non! La France ne sera pas une terre brûlée! » titrait un article de l’Humanité du 18 août 1951, opposé aux bases militaires américaines.

Les membres du P.C.F. éprouvaient à l’époque un mélange d’assurance que la victoire était au bout des contradictions criantes du capitalisme, et de conscience que la lutte serait tenace face aux légions de traîtres et de flics à la solde de l’ordre capitaliste. Dans le questionnaire biographique dûment rempli par tout cadre de section ou tout militant formé à l’école fédérale, un point à mentionner était de préciser qui de ses relations ou de sa famille était policier ou adversaire du Parti. La méfiance vis-à-vis de l’ennemi de classe pouvait évidemment conduire à une sorte de paranoïa, mais celle-ci n’était pas toujours dénuée de fondement. Le gouvernement poursuivait en justice les meneurs des manifestations hostiles au général Ridgway, ou intentait des procès pour diffamation, provocation à l’attroupement, entrave à la liberté du travail, ou infraction à la loi sur la propagande électorale. La police arrêtait des militants avant qu’ils n’arrivent sur le lieu d’un rassemblement ou ceux qui venaient déambuler là où une manifestation avait été interdite. En réponse, le P.C.F. appelait, dans plusieurs tracts du début de l’année 1953, à intensifier la lutte contre « le complot gouvernemental » et la fascisation du régime, auquel devait être opposé « un irrésistible mouvement populaire » [7] . Les militants étaient constamment sur leurs gardes. Ils se portaient volontaires pour surveiller les cellules et les locaux du Parti contre les « provocations policières », « fascistes », ou « trotskistes » [8]. Le siège du Parti, au 44, rue Le Peletier, carrefour Châteaudun, s’ouvrait par une porte en fer forgé et était gardé par cinq ou six militants. L’accès au premier étage s’effectuait en passant par une porte commandée électroniquement. Ceux qui entraient répondaient à une série de questions. Maurice Thorez ne marchait pas plus d’une minute sur le trottoir allant de son véhicule de transport à l’entrée du siège. Le chef du P.C.F. se déplaçait dans une grande Delahaye noire blindée ayant pour fonction de le protéger d’éventuels attentats [9]. L’organe officiel du Parti et les « Cours élémentaires du P.C.F. » distribués aux nouveaux membres ne manquaient pas de rappeler la liste des « attentats » qu’avaient subis les dirigeants de divers partis communistes : l’italien Togliatti (1948), le russe Kirov, le belge Lahaut (1950), le japonais Tokuda (1948), le grec Beloyannis et trois de ses compagnons (exécutés le 30 mars 1952), ainsi que les chefs du P.C.F. Maurice Thorez (parti se soigner à Moscou en novembre 1950 et soi-disant suivi par un avion de chasse américain chargé de l’abattre) et Jacques Duclos. La veille des manifestations prévues le 28 mai 1952 contre le général américain Ridgway, la direction avait demandé à des cadres de ne pas dormir chez eux. Le 28, Duclos, le n°2 du P.C.F. avait été arrêté dans sa voiture, conduite par un chauffeur, en « flagrant délit » de port de pistolet, de radio, de matraque, et de transport de pigeons dits voyageurs, bien qu’il semble qu’ils aient été hors d’état de battre de l’aile. Duclos écopa de plus d’un mois de détention à la prison de la Santé pour « complot contre la sûreté de l’Etat » et publia en novembre 1952 ses Ecrits de la Prison [10]. Le 4 juin, soixante dirigeants de la C.G.T. étaient arrêtés « à titre préventif » [11]. Après l’arrestation de Duclos, comme après le retour de De Gaulle au pouvoir en 1958, certains permanents du Parti ou de la C.G.T., comme Benoît Frachon, entrèrent en clandestinité.

Du côté de la Maison d’Indochine, après la descente effectuée le 20 janvier 1953 par des hommes de la Direction de la Surveillance du Territoire (D.S.T.), un étudiant communiste vietnamien fut hébergé par des communistes français avec la consigne de déménager tous les trois mois, tandis qu’un autre se réfugia plusieurs mois chez un professeur de la Sorbonne. Hou Yuon, Sok Knol (futur adjoint de Sao Phim  dans la zone Est du Kampuchea révolutionaire) et Mey Mann, devenus indésirables à la « Cité-U », déménagèrent à Cachan où ils logèrent un an sans chauffage. Après que Mey Mann fût rentré au pays, Hou Yuon le contacta, un an après l’incident, pour lui dire de revenir car l’interdiction avait été levée [12] . Il ne semble pas que Saloth Sar / Pol Pot ait eu au même moment à déménager, mais, après ses expériences de la guérilla, il resta, comme d’autres dirigeants communistes, extrêmement vigilant au point de changer régulièrement d’endroit pour dormir après 1975. Staline aussi dissimulait les endroits où il passait ses nuits, mais ce détail n’était pas connu des militants du P.C.F..

Le P.C.F. luttait également dans les domaines économique et culturel. Le plan Marshall d’aide économique à la reconstruction de l’Europe était assimilé à une véritable occupation et exploitation américaine n’apportant que licenciements et « camelote idéologique ». Le gouvernement américain, il est vrai, ne se montrait pas très libéral à l’égard des opinions politiques des artistes de son pays et avait longuement insisté auprès des autorités françaises pour pouvoir diffuser ses productions cinématographiques, par ailleurs accompagnées d’actualités en image. De son côté, le P.C.F. entrevoyait des infiltrations impérialistes et étrangères dans la production culturelle française. Ainsi, le film Les Mains sales, sorti en été 1951 et adapté d’une pièce de Jean-Paul Sartre qui ne cachait pas le côté brutal et cynique de certains communistes, était, pour l’Humanité « un corps étranger dans la production cinématographique française ». Dans Fils du Peuple, Thorez défendait, contre l’idéologie du cosmopolitisme cher aux impérialistes américains « la France aux Français, et non à ceux qui, par leur égoïsme, leur cupidité et leur bassesse d’âme, se sont depuis longtemps exclus de la communauté nationale » [13].

La volonté d’indépendance économique ou le dirigisme des communistes les amenaient à prôner l’isolement protectionniste de l’économie française à l’égard des U.S.A. tout en souhaitant une ouverture vers l’U.R.S.S. et une coopération avec les colonies sur une base d’égalité. Mais en général, il fallait « produire français ». En 1972, les révolutionnaires cambodgiens plongés dans la guerre anti-impérialiste allaient reprendre ce désir d’autosuffisance en défendant le « Cambodge aux Cambodgiens » [14].

Le puritanisme du P.C.F. a probablement également déteint sur certains militants cambodgiens, même si la lutte contre les sens et le désir faisait partie de l’enseignement de Bouddha. Les communistes cambodgiens ne tolérèrent ni les mini-jupes ni les cheveux longs. Ils interdirent la polygamie et la polyandrie dans l’article 13 de leur Constitution, et astreignirent les couples unis aux mêmes travaux que les célibataires. Le P.C.F. des années cinquante n’y aurait rien trouvé à redire. Les écarts dans le domaine des mœurs y entraînaient des sanctions. En 1950, un membre du Comité Central du P.C.F. sur le point d’être exclu se voyait reproché, en premier lieu, d’avoir été surpris dans son bureau avec sa secrétaire dactylographe sur ses genoux [15] . L’Humanité et la Nouvelle Critique condamnaient les romans ponctués de scènes érotiques ou les feuilletons illustrés de filles plantureuses d’un journal parisien rebaptisé en la circonstance Pourri-Soir. De même, l’A.E.K. regrettait-elle amèrement en décembre 1952 que les gouvernants du Cambodge fissent bon accueil à tout un flot de « revues de corruption » (« Rêves », « Nous deux », « Intimité »), de « romans à essence métaphysique » et de « films malsains de gangsters », tout en interdisant en même temps l’entrée de la « presse de progrès » (cf. document 11). L’après-guerre, jusque vers 1957, était l’époque où le Parti luttait à la fois contre l’american way of life et la contraception, contre l’avis du corps médical [16]. La contraception apparaissait alors comme un instrument d’asservissement de la classe ouvrière : contrairement à l’ « idéologue de la bourgeoisie » Malthus qui prônait une baisse de la natalité parmi les ouvriers, les marxistes estimaient que la classe ouvrière devait s’agrandir [17]. L’homosexualité ne pouvait alors être qu’un produit des classes décadentes [18].

Au début des années cinquante, le P.C.F., à travers une position de vigilance contre les « flics » ou les « fascistes », menait un double combat : national contre l’impérialisme américain (culturel, économique, militaire), et internationaliste aux côtés de l’U.R.S.S.. C’est ce mélange qui caractérisera longtemps les communistes cambodgiens, avec cette différence qu’ils ne se montrèrent jamais dépendants idéologiquement de l’U.R.S.S..

 

II. Les contacts avec le P.C.F.

 

Pour étancher leur soif de réforme et de compréhension du monde dans lequel était imbriqué le Cambodge, certains Cambodgiens prirent part à des conférences, des cellules politiques, et des écoles du parti communiste, où étaient prodigués le point de vue des marxistes les plus en vue.

Alors que le sentiment d’appartenir à la grande famille du P.C.F. et de côtoyer le peuple passait par les démonstrations vibrantes d’enthousiasme et de ferveur des meetings du Vélodrome d’Hiver (fermé en 1959), et que le lien social se déployait lors de la remise annuelle des cartes de membres, de la vente du muguet ou de l’Humanité-Dimanche, ou lors des fêtes annuelles de l’Humanité, au cours desquelles Vietnamiens et Cambodgiens s’aidaient mutuellement et fraternellement à monter leurs stands, l’apprentissage plus discret de la politique s’apprenait à « la cellule ».

Une réunion de cellule obéissait à un certain ordre du jour : chaque semaine, le secrétaire de cellule accueillait les militants pour y commenter les éditoriaux de l’Humanité, les déclarations de Thorez et de Duclos, et prononcer ou analyser un exposé ou un rapport politique prononcé par un des membres. Le rapport politique présentait l’état des forces adverses capitalistes et affiliées, l’état des forces communistes et alliées, l’action à adopter, et la lutte à mener par la cellule dans son domaine. Il s’ensuivait un cours débat et un commentaire du secrétaire. Ce dernier veillait à ce qu’aucun point fondamental ne fût omis dans l’exposé, lequel devait être « juste politiquement », et en accord avec la conception du monde du Parti. Enfin, le secrétaire effectuait un « contrôle des tâches » remplies et établissait pour chacun la prochaine tâche à accomplir : par exemple vendre des journaux, distribuer des tracts, notamment en période électorale, faire du porte-à-porte pour faire signer l’appel de Stockholm ou une pétition contre le projet de Communauté Européenne de Défense, ou encore recueillir de l’argent pour soutenir la presse communiste.[19].

A la Maison d’Indochine, la cellule dite du P.C.F. se tenait dans une chambre d’étudiant sous la direction d’un Français. Elle comprenait quelques Français, neuf Cambodgiens, quatre Vietnamiens (ceux-ci, plus nombreux que les Cambodgiens à la Maison étaient plus divisés politiquement), mais aucun Laotien. L’entente entre ces camarades était parfaite, même si les Cambodgiens faisaient plus ou moins bande à part. Après la création de la Maison du Cambodge, dotée de sa propre « cellule », Vietnamiens et Cambodgiens de gauche restaient néanmoins unis, et ce jusque dans les années soixante-dix. Parmi les Cambodgiens inscrits à la cellule à partir de 1952 figuraient Hou Yuon , Rath Samoeun (jusqu’en 1953), Toch Phoeun , Sien An (jusqu’en 1953), In Sokan , Thong Sereivuth (au moins jusqu’en 1955), Mey Mann , Sanh Oeurn, et, à partir de 1954, Son Sen. L’atmosphère cosmopolite de la Cité Universitaire Internationale attisait plus qu’ailleurs la curiosité intellectuelle des étudiants communistes. Ceux-ci lisaient « Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao et Thorez dans le texte, même si certains textes étaient rébarbatifs et ennuyeux » [20] .

Ieng Sary, Thiounn Mumm (le polytechnicien), Thiounn Prasith (futur haut cadre au ministère des affaires étrangères du Kampuchéa Démocratique) et peut-être Thiounn Thioeun (ministre de la Santé du K.D.) ont probablement été membres, comme d’autres pensionnaires de l’hôtel anglo-latin, de la cellule de la rue Saint-André-des-Arts, non loin du siège et de la librairie des Editeurs Français Réunis (33 rue Saint-André-Des-Arts et 24, rue Racine). Saloth Sar, qui aurait adhéré en 1952 ou à la fin de l’année 1951, aurait été membre d’une cellule rue Lacépède, à 400 mètres au Sud de la Maison de la Mutualité où se déroulaient tant de meetings communistes [21]. Etaient aussi communistes à ce moment Mey Mann – d’abord initié par des Cambodgiens puis parrainé par un camarade français – Mey Phat, Uch Ven, Chi Kim An, Sok Knol, et Yun Soeurn, tous étudiants boursiers [22]. Tep Saravouth, étudiant en comptabilité, aurait aussi soutenu des idées communistes après juillet 1950. Sien An, Rath Samoeun, Mey Mann, Hou Yuon, Saloth Sar, et Sok Knol firent ensuite partie des dix membres formés par le P.C.F. que comportait le Parti Communiste Cambodgien deux ou trois ans après sa création en 1951. Sok Knol alias Peam alias Lin allait devenir, sous le Kampuchéa Démocratique, l’adjoint de Sao Phim dans la zone Est avant d’être éliminé en 1978 [23] . Uch Ven, qui étudiait le droit à Montpellier jusqu’en 1957 et était très actif dans les milieux anticolonialistes d’Outre-Mer, a peut-être influencé Khieu Samphan qui commença le droit dans la même ville. Uch Ven ainsi que Mey Phat, étudiant à Paris à l’Ecole préparatoire aux travaux publics, allaient plus tard fortement influencer le jeune démocrate Tiv Ol, lequel allait à son tour efficacement recruter les étudiants de l’Institut National Pédagogique de Phnom Penh au sein du Parti des travailleurs cambodgien [24]. Chi Kim An devint secrétaire général du Pracheachun, et Yun Soeurn, qui était venu passer son baccalauréat, rejoignit le maquis en 1953-54, partit à Hanoi, revint en 1970 pour être secrétaire du secteur 22 au Sud de Kompong Cham dans la région Est, avant d’être incarcéré à S-21 (Tuol Sleng) le 4 novembre 1976 [25].

 

Il est difficile de savoir combien d’étudiants inscrits à la cellule avaient suivis les « écoles élémentaires » du Parti, appelées aussi « écoles de section ». Le 14e arrondissement, où était située la Cité Universitaire, comptait deux sections. Il semble qu’un seul cambodgien ait suivi une formation assez poussée au P.C.F. : Toch Kham Doeun, remarqué peut-être par les associations communistes internationales lorsqu’il s’était rendu à des festivals mondiaux de la jeunesse, et qui prit une ou deux fois la parole à la Fête de l’Humanité. Sous le Kampuchéa Démocratique il n’eut que très peu de pouvoir. Ambassadeur du GRUNK à Cuba puis à Pékin, son parcours aboutit dans une cellule de S-21 (Tuol Sleng) en mars 1977. Selon un des premiers Cambodgiens membres du P.C.F., un seul d’entre eux fut diplômé de l’Ecole des Cadres du P.C.F. (c’est-à-dire l’Ecole Centrale ou Nationale où la formation durait en général trois mois), mais celui-ci aurait renoncé à toute activité politique « après cet exploit ».

Une « école élémentaire » était suivie par les militants du P.C.F. que cela intéressait ou qui étaient secrétaires de cellules et jouissaient de la sympathie du Parti. Il s’agissait, au terme de cinq ou six cours d’une heure, étalés sur une à deux semaines ou deux week-ends, de familiariser les participants avec les œuvres de Thorez, de Lénine et de Staline , et de les former à la rédaction d’un journal de cellule. A chaque cours un fascicule d’une trentaine de pages était remis à propos du thème étudié : au début des années cinquante, il s’agissait de La Nation, L’impérialisme et la guerre, L’Etat, Socialisme et communisme, Le Parti. Ces brochures comprenaient une bibliographie sommaire et un petit questionnaire destiné à tester ses connaissances et à récapituler des points de doctrine essentiels. Elles fournissaient un mode de pensée somme toute assez méthodique et étaient éditées plusieurs fois par an à 10 000 exemplaires. Il n’y avait pas de différence de nature entre cette formation « sommaire » et une formation plus longue en école fédérale (de quinze à trente jours) ou en école centrale (de un à trois mois). Le contenu idéologique n’était pas non plus des plus radicaux. Dans une de ces brochures, l’égalitarisme à tout crin et le nivellement des goûts et des talents étaient catégoriquement rejetés.

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