Chronique d'une tentative acrimonieuse avortée de censurer une thèse de doctorat

Publié le par Sacha Sher

L'échange qui suit entre le père François Ponchaud et le jouvanceau Sacha Sher a eu lieu peu avant la soutenance de thèse de ce dernier. Il n'a duré que deux rounds, comme si le péroreur avait été confronté à une péroraison imparable.

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Dans sa tentative de déstabilisation, F. Ponchaud n'a pas agi sans le concert d'une petite frappe, un autre cambodgien de coeur (et le coeur a ses raisons...) dénommé H. Locard, également auteur d'une lettre critique surchauffée au soleil de Phnom Penh adressée à Mr. Courtois, directeur de thèse de S. Sher et restée cachée à ce dernier.
Ces soubresauts étaient à n'en point douter le fruit de la formation d'une coterie, dont les membres ont dû jouer à qui allait rivaliser le plus de frénésie par rapport à l'autre pour protéger leurs intérêts communs.

Il n'empêche, dans sa missive, Mr. Ponchaud, y dévoile un tempérament mêlant égocentrisme, culot et déficit de placidité, déclenché probablement par la trouille d'une décision de jury qui ne le concernait pourtant que de très loin. On ne saurait d'ailleurs exclure que ces réactions conservatrices au dernier degré aient eu une incidence sur la mention imparfaite donnée aux travaux du jeune chercheur.

Ce dernier, piqué au vif, s'est passablement étendu dans sa réponse restée sans suite, histoire de se faire plus large que l'adversaire, ou peut-être à la manière d'une goutte d'huile vierge cherchant à briller sur des eaux troubles et à faire tache d'huile.

Au lecteur, donc, de départager lequel des deux est, d'un côté, le plus artificieux et le plus brouillaminieux et, de l'autre, le plus ouvert à l'échange et le moins abscons.


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François PONCHAUD

[...]

Phnom Penh le 27 novembre 2002

 

Mr le Professeur Stéphane COURTOIS

Université PARIS X-NANTERRE

U.F.R. de sciences sociales et administration

 

Monsieur le Professeur,

 

En 2001, Sacha Sher m'a demandé un très grand nombre de renseignements par e-mail, et qui ai ouvert toutes les archives d'Espace Cambodge. Il a eu la gentillesse de m'envoyer son projet de "thèse de doctorat de sociologie politique" dont vous étiez le directeur. Il me demandait mon avis. Il y a quelques semaines, j'ai eu accès, à Phnom Penh, à une autre version, sans doute définitive, de son travail.

 

Je n'ai pas autorité pour donner un avis sur ce travail universitaire, cependant, dans la mesure où il me cite assez souvent, je me dois de réagir vigoureusement aux propos qu'il tient sur moi dans sa seconde introduction (pp. 10-11. 18-20) et dans ses documents 20 et 21. J'estime que ces deux passages relèvent plus de la calomnie et de la diffamation que du travail scientifique.

 

1) Dénigrer le témoin pour en refuser le témoignage est une attitude scientifique pour le moins curieuse. Sacha Sher a raison de se méfier des témoignages de réfugiés, mais à priori, ceux qui parlent, avec beaucoup de détails, de ce qu'ils ont vécu personnellement, surtout quand tous ces témoignages vont dans le même sens, sont à recevoir au moins avec autant de bienveillance que les idées des étrangers qui parlent de leur bureau, au nom de leur idéologie. Citer la position du courageux anonyme "GMC", auteur d'un article de "Libération" du 16 mars 1976 (introd. p. 10; doc. p. 142) et son "décryptage" par Serge Thion (doc. p. 141-145), comme une "ébauche d'analyse des relations entre journalistes et réfugiés", relève de l'imposture. Personnellement, j'y relève plus d'une erreur par ligne!

 

2) Chercher la diversité des sources est une démarche scientifique. Sacha Sher ne cite qu'une partie des miennes, à croire qu'il n'a pas lu "Cambodge Année Zéro", dont il nie toute valeur scientifique. Je me suis permis le luxe d'écouter radio Phnom Penh en khmer (quel journaliste, ou quel chercheur, à l'époque en était capable...), d'y apprendre la nouvelle langue idéologique, si bien que beaucoup de Cambodgiens croyaient que j'étais partisan des Khmers rouges, non "parce que je posais trop de questions,"comme l'écrit Sacha Sher, mais parce que je connaissais trop bien la vie au Kampuchéa Démocratique, et que j'en parlais la nouvelle langue, et en chantais les chants... Même Steve Heder, le meilleur connaisseur actuel de l'époque khmère rouge, n'avait pas fait ce travail et rougirait qu'on rappelle un long article alors écrit contre moi... Le croisement de deux sources différentes, radio et témoignages, m'a permis d'arriver à une certitude de type scientifique, même si de nombreuses précisions ont pu être apportées par la suite, en raison de l'ouverture du pays, et de la qualité des chercheurs qui ont analysé la situation avec plus de finesse. Il est vrai qu'écrire une thèse, sans connaître le pays, sa langue et sa mentalité est, en soi, un exploit!

 

3) Les jugements d'intention ne relèvent pas d'une attitude scientifique. J'aurais aimé que Sacha Sher lise avec attention l'introduction de "Cambodge Année Zéro", Julliard 1977, où j'écris notamment :

 

"J'ai cherché à comprendre: il fallait éviter deux écueils: tomber dans la suspicion et la critique systématique du nouveau régime, ou céder à l'engouement pour une révolution que beaucoup, comme moi-même, appelaient de leurs voeux. Pour ce faire, je recherchai les documents officiels émanant du gouvernement de Phnom Penh, afin de saisir le sens de la révolution et les objectifs qu'elle se donnait... Je me mis donc à l'écoute quotidienne de Radio Phnom Penh, la voix officielle du Kampuchéa....

 

D'autre part il paraît impossible d'écrire l'histoire d'une révolution lorsqu'on vit à l'extérieur du pays concerné. Quelle description aurait pu faire de la révolution française, un observateur installé en Belgique ou de l'autre côté du Rhin..

 

Ce livre posera sans doute plus de questions qu'il n'en résoudra. Seule l'Histoire répondra en donnant aux événements présents leur véritable portée."

 

Il aurait dû également lire le chapeau de mes trois articles parus dans "le Monde" des 16-17-18 (? je n'ai pas mes archives à portée de main) février 1976, qui émane de moi personnellement, et non de la rédaction du Monde, dans lequel je faisais part de mes doutes et interrogations. Si quelqu'un a désiré être démenti par les faits, c'est bien moi! L'Histoire, hélàs, a confirmé ce que j'avançais alors. Mon livre était un cri, écrit dans l'année qui a suivi la victoire des Khmers rouges, et jusqu'à présent, je défie quiconque d'y trouver des erreurs. Beaucoup de Khmers du Cambodge qui ont lu ce livre dans sa version cambodgienne, me disent qu'il était en dessous de la réalité, ce dont j'avais conscience, n'ayant choisi que les témoignages les plus crédibles, mais non pas les plus sanglants... (contrairement à ce qu'insinue Sacha Sher). Je ne suis pas un universitaire, ni un idéologue, ni un "militant" (comme on l'écrit dans le document 21), ni même "personnel d'organisation humanitaire" (p. 18), mais simplement un homme qui se voulait et se veut toujours solidaire du peuple khmer.

 

4) Noam Chomsky est sans contexte le plus brillant des linguistes mondiaux, et un homme courageux dans sa dénonciation du militarisme et de l'impérialisme américain. Je le suis parfaitement sur ce terrain. Cependant, je dénie à Monsieur Chomsky, de définir, de son bureau de Boston, ce que vivaient les Cambodgiens en 1975-1978. Il définissait cette vie à travers le prisme de son idéologie, et non à partir des faits. Je maintiens mon affirmation. Ma révolte était trop grande, pour accepter que la souffrance du peuple khmer soit utilisée pour une cause qui n'était pas la sienne!

 

5) La décence aurait voulu que Sacha Sher s'abstienne de souligner les fautes d'orthographe dans mes lettres envoyées à Mr Chomsky (mais je ne vexe pas pour autant!). Sacha Sher fait des fautes également dans le texte de sa thèse. Qu'il replace mes lettres dans leur contexte! Il n'a eu entre les mains que des copies faites au carbone, et, bien entendu, non corrigées! Il n'y avait pas d'ordinateur à l'époque, et mes moyens étaient limités (contrairement à ce qui est affirmé dans le doc. 21). Quant à l'introduction du Doc 20, et à ses annotations tout au long de mes lettres, vous jugerez, tant elles paraissent futiles, mesquines, malhonnêtes et injurieuses. Le procédé est inqualifiable pour un scientifique qui prétend présenter à ses lecteurs des documents, en lui laissant le soin de les juger ("Nous ne saurions trop inviter le lecteur à se faire sa propre opinion sur le sujet" (into. p 21).

 

6) Tout au cours de la thèse, j'ai relevé un certain nombre de petites erreurs, mais je ne relèverai que celles qui me concernent : Le Père Venet, s'appelle "Robert " et non pas "Bernard". Je n'ai pas fait partie d'"organisations humanitaires". A ma connaissance, il est faux d'écire (p. XXIV) "les catholiques furent souvent plus touchés par la mort que les autres Khmers". "La rumeur des bébés jetés sur des baïonnettes, aucun chercheur n'en a entendu parler..." : je ne suis pas chercheur, mais j'en ai entendu parler. P. Hegel, psychanalyste, qui soignait les malades de Khao I Dang, rapporte le fait, au sujet d'une mère qu'il a préféré laisser dans son délire plus que de la ramener à une réalité trop douloureuse... Dans le chapitre historique, on ne parle pas de la sucrerie de Kompong Kol, où a commencé la révolte de Samlaut, ni de "Bay Damram", où les Khmers rouges font débuter leurs opérations (les lieux sont situés, mais les noms ne sont pas mentionnés), etc...

 

Pour toutes ces raisons, je demande à Mr Sacha Sher de me rayer de la liste des gens qu'il remercie: je ne demande que l'honnêteté intellectuelle. Si d'aventure le texte de la seconde introduction et du document 20 n'était pas modifié dans la version finale, et qu'il soit rendu public, j'envisagerai de porter plainte en diffamation.

 

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Professeur, l'expression de mes sentiments les meilleurs,

 

 

François PONCHAUD

 

 

CC : Mr Sacha Sher

Mr Alain Forest

 


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Sacha SHER

[....]

 

sacha.[ANTISPAM]sher@libertysurf.fr

 

[...] le 29 novembre 2002.

 

A l’attention de Stéphane Courtois et Alain Forest

 

 

Chers Messieurs,

 

 

Je trouve intéressant de répondre à la lettre que François Ponchaud vous a respectivement adressée et copiée le 27 novembre 2002 au sujet de certains passages de ma thèse. Je lui envoie également copie de ma lettre.

 

François Ponchaud s’est livré à des accusations qui me paraissent à la fois graves quant à la forme et au ton, et, quant au fond, totalement saugrenues. Des passages de ma thèse seraient diffamatoires. Il veut en supprimer, mais ne semble pas assez déterminé pour en dessiner les contours de manière suffisamment reconnaissable. Quant au fait que je ne devrais plus l’inclure dans les personnes qui méritent des remerciements pour m’avoir fait avancer dans ma recherche, je n’en vois la nécessité, car il est évident que la présence de son nom n’implique en rien qu’il soutienne mon travail. Je ne vois nullement en quoi j’ai porté atteinte à son honneur. Mais je relève, notamment dans mon introduction à la correspondance qu’il entretint avec Noam Chomsky (document 20), des éléments qui montrent qu’il a fait preuve, à certains moments, d’esprit de parti, de manque d’écoute, d’auto-critique et d’objectivité scientifique. Je me suis simplement senti obligé, au vu de ce que je connaissais, de relever ce qui paraissait constituer, à mes yeux, des légèretés. C’est, je pense, mon droit de viser à la précision, et ce n’est pas ainsi être futile, mesquin, malhonnête ou injurieux. Je ne crois pas davantage qu’une opinion critique, même infondée, doive mériter l’appellation de diffamation. En revanche, vouloir faire taire ce qui vous déplaît pour la seule raison que cela vous déplaît est franchement indigne. Mais examinons ce que Mr. Ponchaud me reproche concrètement, et passons rapidement sur les allusions : le fait qu’il mette de son côté un certain crédit « scientifique » comme de « chercher la diversité des sources » ou d’« arriver à une certitude »( !), ou le fait qu’il me prête certaines pensées — celles de l’anonyme G.M.C. ou de Serge Thion, qui semble ici servir d’épouvantail.

 

Paragraphe 1 : Je ne dénigre ni ne refuse « le témoin » et je pense avoir traité avec autant de bienveillance les témoignages détaillés (auxquels j’ai, par exemple, consacré des index-matière en annexes) que les commentaires des gens qui, selon Ponchaud, parlent depuis leurs bureaux. François Ponchaud a lui-même gravement critiqué les réfugiés qu’il a rencontrés dans les camps : « Chacun apporte le témoignage de ce qu’il a vu ou entendu dire, l’imagination et la nostalgie du pays natal tendant à grossir et à déformer les faits » (dernier tiers du chapitre XI de Cambodge année zéro). Cette dernière remarque s’applique-t-elle à « chacun » d’entre eux ? Autre remarque contenue dans une lettre à Noam Chomsky du 17 août 1977 : « Rares sont les Khmers qui sont capables de faire une synthèse de ce qu’ils ont vécu. Personnellement la radio m’indique dans quel sens il faut lire les récits des réfugiés : tout ce qu’ils racontent, parfois en éxagérant [sic], a un sens, s’inscrit dans le mouvement révolutionnaire, la « roue de l’histoire » pour employer le langage Khmer Rouge ».

Il arrive à Mr. Ponchaud de vouloir faire croire, comme aujourd’hui, que « tous » les témoignages allaient « dans le même sens ». Il avoue dans le même temps avoir éliminé ceux d’entre eux qui ne lui paraissaient pas crédibles. Ces derniers témoignages allaient-ils, en dépit de cette réserve, dans le même sens que les autres ?

 

Mr. Ponchaud trouve plus d’une erreur par ligne à l’article de G.M.C. paru dans Libération le 16 mars 1976 (cf. annexes de ma thèse, document 21), et me reproche de qualifier cet article d’ « ébauche d’analyse des relations entre journalistes et réfugiés ». Mr. Ponchaud n’a pas cru bon de rappeler chacune de ces erreurs dans les commentaires dont il m’a gratifié au sujet de l’article. Je rappelle à cet égard que j’ai retrouvé et reproduit à la suite du texte incriminé la réponse que Mr. Ponchaud lui avait faite à chaud, le 21 avril 1976. Que pouvais-je faire de plus ? En outre, je tiens à être précis dans les termes. Je n’ai pas inclus sous la formulation d’ « ébauche d’analyse des relations entre journalistes et réfugiés » un « décryptage par Serge Thion ». Ce n’est pas ainsi que je présente les choses ni dans mon introduction ni dans mes annexes. Ce qui constitue le décryptage est que je laisse la parole à plusieurs connaisseurs du Cambodge : Serge Thion, Jacques Népote, Bernard Hamel, et François Ponchaud lui-même. Le lecteur peut de la sorte se frotter à l’avis d’un nombre suffisant de spécialistes contemporains des événements afin de renverser les accusations infondées du mystérieux G.M.C.

 

Paragraphe 2 : Je tiens à signaler que j’ai lu et relu Cambodge année zéro, que je cite cet ouvrage à de nombreuses reprises et que je ne lui conteste pas la valeur d’un document d’importance. Mais je crois pouvoir dire que cet ouvrage ne dit pas tout, et qu’il ne peut donner une image suffisamment large de ce qui a pu se produire au Kampuchéa entre 1975 et 1978. Par ailleurs, j’ai lu un chapitre supplémentaire inédit daté de 1978, ainsi que divers articles de Mr. Ponchaud et, last but not least, les Dossiers Cambodge parus dans Echange France-Asie (voir bibliographie). Je tiens profit de l’occasion pour dire que ces dossiers difficiles à trouver fournissent des renseignements parfois plus fouillés que dans la version livresque et qu’ils donnent, par exemple, un autre son de cloche sur la question chrétienne.

 

Mr. Ponchaud nie avoir été pris, par des réfugiés, pour un partisan des « Khmers rouges » « parce qu’il posait trop de questions » (tels étaient mes termes). A le lire, le fait ne proviendrait que de sa connaissance des chants ou du vocabulaire révolutionnaires. Je me basais pour étayer mes dires (comme indiqué dans ma réflexion annexe n°1), sur ce qu’il écrivait lui-même à Noam Chomsky le 17 août 1977, à savoir :

«Vous dites à juste titre que les réfugiés veulent noircir le tableau : je le dis p.223. c’est compréhensible. J’ai posé des questions précises de lieux (que je connais), de personnes, de dates, : là il n’y a pas d’échapatoires [sic] pour l’imagination, même fertile. Certains réfugiés me prennent pour un partisan des khmers Rouges, car je me montre parfois très sceptique ».

On peut dès lors penser que Mr. Ponchaud a dû demander des précisions ou exprimer son étonnement sous forme de questions. Je ne le vois pas simplement hausser les épaules, tourner le dos, ou nier platement ce que les témoins lui racontaient. Cela n’aurait pas fait « très sceptique ».

 

Je n’ai pas lu l’article de Steve Heder auquel il est fait mystérieusement allusion pour une raison que j’ignore, et pour lequel Mr. Heder aurait à rougir. Je sais simplement à travers la correspondance de l’époque entre Mr. Ponchaud et Noam Chomsky que Mr. Heder reprochait à Mr. Ponchaud ses traductions de la radio. Mr. Ponchaud n’est donc pas le seul à avoir confronté écoute de la radio et témoignages. Lui-même ne reprochait rien de précis à Mr. Heder dans cette correspondance, et je n’ai pu retrouver, dans les archives d’Espace-Cambodge, l’article écrit en réponse à Mr. Heder et copié à Mr. Chomsky. Toute personne intéressée par ces problèmes de traduction essaiera de lire à la fois Steve Heder, « Mistranslations in counter revolutionary propaganda », News from Kampuchea, August 1977, et François Ponchaud, « Vicissitudes de la linguistique au service de l’idéologie abstraite » (non publié). Pour mon travail, j’ai préféré faire référence aux traductions de la radio effectuées par la BBC.

 

Mr. Ponchaud prétend être arrivé à une « certitude de type scientifique ». Il semble que ce qui lui pose problème soit la remise en cause de certaines de ses certitudes. Je ne prétends pas, pour ma part, invoquer je ne sais quelle supposée autorité immuable de la science, mais écouter et éventuellement recevoir des arguments valables.

 

Paragraphe 3 : Quels sont les « jugements d’intention » qu’il me prête ?

Je pense avoir suffisamment lu Cambodge année zéro pour ne pas être passé à côté de l’introduction.

Où insinuerais-je que Mr. Ponchaud a sélectionné les témoignages les plus sanglants ? On veut des pages…

Mr. Ponchaud me reproche de le décrire comme membre du « personnel des organisations humanitaires ». J’espère ne pas l’avoir couvert de boue... Il est trop courant de nos jours de qualifier n’importe qu’elle association humanitaire d’O.N.G.. Dont acte. Mais j’ajoute qu’on me l’avait décrit ainsi et lui-même m’avait expliqué par courrier électronique en réponse à une lettre du 19 novembre 2000 qu’il avait travaillé sans se montrer aux autorités thaïlandaises « dans le cadre de [s]on « travail humanitaire dans les camps ».

 

Paragraphe 4 : Je ne vois pas où j’aurais écrit ou suggéré que Noam Chomsky était habilité à définir ce qu’avaient vécu les Cambodgiens. Mr. Chomsky apportait d’autres sources d’informations à la connaissance de Mr. Ponchaud et c’est entre autres par souci de chercher la diversité des sources, pour employer l’expression de Mr. Ponchaud, que j’ai souhaité reproduire ces lettres. Il est étonnant que Mr. Ponchaud ait trouvé là un motif de plainte.

 

Paragraphe 5 : J’aurais pu, il est vrai, m’abstenir de signaler par un [sic] les fautes qui se répétaient souvent.

J’invite en effet le lecteur à lire à la fois Mr. Ponchaud et Mr. Chomsky pour se faire sa propre idée sur chacun d’entre eux. Je ne suis pas complètement neutre car j’ai acquis des convictions, et avoue avoir fait des remarques sur certaines allégations ou omissions du premier. J’ai, par exemple, voulu souligner la contradiction d’une personne qui accuse une autre de partir d’idées, tout en disant elle-même aimer « trop le peuple khmer pour vouloir à priori salir sa révolution qui me fascine autant qu’elle me terrifie » (17 août 1977), en m’autorisant ce commentaire, par souci de mettre en garde le lecteur contre les dérives de la subjectivité, de loin la critique la plus flétrissante qui apparaisse entre mes crochets : [On est vraiment là dans le domaine de l’émotionnel]. Où est la diffamation ?

 

Paragraphe 6 : Mr. Ponchaud rectifie le prénom de Mr. Venet, Robert, au lieu de Bernard. Les rectifications sont les bienvenues, même si on aurait aimé les avoir un peu plus tôt, à la suite d’un e-mail sur l’intéressé (voir e-mail à Ponchaud, 2 juillet 2002, en fin d’annexe). Sur « organisations humanitaires », même remarque qu’en paragraphe 3.

 

Il serait faux d’écrire : « les catholiques ont plus souffert de la mort que les autres Khmers ». Mr. Ponchaud fait montre d’un aplomb admirable en la matière, étant donné les nombreuses palinodies qui furent les siennes sur la question, entre janvier 1976 et 2001. Je précise que j’indiquais qu’ils n’avaient pas péri en tant que catholiques mais que s’ils semblaient l’avoir été davantage que la moyenne des Cambodgiens, cela pouvait découler de leur position sociale, ou de la résistance qu’ils avaient pu, comme les musulmans, opposer au régime. Mais j’avoue que l’histoire de leur résistance reste à vérifier. En général, je pense comme Mr. Ponchaud – finalement – et comme Michael Vickery : les catholiques n’ont pas été l’objet d’un traitement spécial de la part du régime. Mais la question du nombre de victimes reste quelque peu ouverte puisque Michael Vickery estime que les pères du culte catholique ont plus souffert que les pères protestants. Tous ces détails sont à lire dans le paragraphe que je consacre aux chrétiens en page 384.

 

Mr. Ponchaud me cite ainsi : « Quant à la rumeur des bébés jetés sur des baïonnettes, aucun chercheur n’en a entendu parler ». J’ajoutais « par un témoin direct ». C’est une histoire qui, à notre connaissance, n’est pas évoquée par Michael Vickery, David Chandler ou Ben Kiernan dans leurs livres. Mais c’est un point qui méritait d’être creusé. J’avais questionné Michael Vickery et Steve Heder sur le sujet.

Michael Vickery me répondait ceci le 11 septembre 2002 : « Au sujet des bebes massacres, la seule histoire absolument véridique que je connais est celle que vous aves lu dans mon livre, rapportee par un ex-officier des forces de Sihanouk sur des massacres dans lesquels il dit avoir participe [où des bébés sont écartelés lors de répressions anti-communistes à Battambang]. Je ne crois pas du tout des histoires semblables mises au compte des Vietnamiens en 1979, et je n'ai jamais entendu personne les racconter. Je n'ai meme pas entendu raconter que les KR avaient massacres des bebes a la baionnette ou en les dechirant. Bien entendu, il y a eu des enfants tues parfois avec leurs parents, mais il ne semble pas que les KR se sont livres aux actes sadiques racontes contre des bebes ».

Je demandais à Steve Heder s’il avait entendu parler, dans les crimes imputés aux révolutionnaires cambodgiens, de bébés percés par des baïonnettes, écartelés, ou de filles tuées selon des modes différents selon qu’elles avaient la peau foncée ou claire. Voici sa réponse du 31 août 2002 : « I have heard such stories, but never myself had any eyewitness or other first-hand account to confirm them ».

 

Mr Ponchaud explique donc, dans la lettre qui vous est adressée qu’il n’a pas retenu certains témoignages sanglants, pour la raison qu’ils ne paraissaient pas crédibles, mais il écrit avoir « entendu parler » (quand ?) de l’histoire des bébés jetés sur des baïonnettes. Il mentionne une histoire de ce genre de la bouche du psychanalyste P. Hegel qui soignait une dame en plein délire. Cela ne constitue pas un témoignage direct. En a-t-il entendu parler par d’autres personnes ? Cela n’est pas clair. En tout cas, il ne le mentionne dans aucun de ses précédents écrits. Mr. Ponchaud a la possibilité d’avancer de nouveaux faits. Mais qu’il nous explique en quoi un témoignage unique peut maintenant posséder une valeur scientifique et en quoi de nouveaux témoignages jamais mentionnés constitueraient maintenant des sources crédibles.

 

Je ne vois pas en quoi le fait d’omettre de parler de la sucrerie de Kompong Kol ou du lieu-dit de Bay Damram constituerait des erreurs.

 

Enfin, je cherche en vain ce qui a motivé Mr. Ponchaud à écrire ainsi une lettre à charge. Il n’y a rien qui devrait nous opposer personnellement. Nie-t-il tout intérêt à mes recherches et à mon exploration d’une quantité abondante de sources disponibles sur la révolution cambodgienne ? Faut-il répondre à une allégation infondée comme : « Il est vrai qu'écrire une thèse, sans connaître le pays, sa langue et sa mentalité est, en soi, un exploit » ? Mr. Ponchaud prenait jadis plus de précautions en osant se pencher sur la mentalité d’un pays.

 

Mr. Ponchaud termine par un « etc. » Il n’est donc pas encore temps pour moi de lui tirer ma révérence, et je me tiens prêt à répondre point par point aux erreurs qu’il aura l’inestimable soin de me signaler, à tort ou à raison.

 

Avec l’assurance de mes sentiments distingués,

Sacha

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S
Intéressant ce gon...N'ayant pas lu le livre de F. Ponchaud, ni le votre, je suis curieuse de lire leurs contenus.<br /> merci pour le lien sur mon blog.
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