Notices biographiques (I), copiées de la thèse de Sacha

Publié le par Sacha Sher

- Ieng Sary (alias Van, ou "Thang", le seau, de son vrai nom Kim Trang [1]) né en 1924. François Ponchaud rapporte que ses parents étaient Khmers “ contrairement à ce qu’on a pu écrire à ce sujet ” mais que sa mère est morte alors qu’il était en bas âge. Probablement Khmer Krom* par sa mère, une source fragile affirme qu’il était Vietnamien par son père [2], une autre, Chinois par son père [3]. Fils de propriétaire foncier [4] originaire du canton de Luong Hoa, province de Tra-Vinh, Sud-Vietnam, l’invasion japonaise le poussa en 1940 à venir dans la province de Prey Veng chez un parent où il prit le nom d’un bonze ami de la famille et change d’âge pour rentrer à l’Ecole primaire de Prey Veng, dirigée par un beau-frère de son oncle, et passer son Certificat d’Etudes [5]. Kim Trang portait désormais le nom purement cambodgien de Ieng Sary. Rentré au lycée Sisowath en octobre 1943, il inspirait la sympathie par sa vivacité. En 1949, il dirigea des manifestations contre Sihanouk en 1949 et courtisa alors sa future femme Khieu Thirith. Après qu’il eut réussi la première partie du baccalauréat, le prince Indravong lui offrit une bourse et un billet pour la France où il passa la deuxième partie de son baccalauréat au lycée Condorcet. Son arrivée en France date de 1950 (Becker), ou de 1951 (Chandler) mais non de 1949 (voir document 4). Inscrit deux ans à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris de 1951 à 1953, il n’y suivit quasiment aucun cours, préfèrant les cours donnés par des universitaires communistes à l’Université Nouvelle du P.C.F.. Inscrit ensuite en propédeutique de lettres et d’histoire, il se montra un actif militant à l’A.E.K. et l’U.E.K., et anima jusqu’à la fin de l’année 1956 le Cercle d’études marxistes khmer dont il était un co-fondateur. A Phnom Penh, il enseigna dans une école privée ou à domicile avant d’entrer dans le maquis en 1963, où il fut formé à l’école révolutionnaire vietnamienne. Haut responsable du Parti à Ratanakiri de 1966 à 1971, il partit représenter le FUNK à Pékin, et se chargea du recrutement et du contrôle du FUNK et du GRUNK. Egalement responsable des affaires financières, il supprima les bourses du GRUNK pour les étudiants en France, et leur demanda de cesser les études [6]. De retour au Kampuchéa vers le 24 avril 1975, il devint vice-premier ministre chargé des Affaires Etrangères du Parti et de l’Etat, et haut responsable du ministère B-1 (de bâratéh = étranger), partageant tour à tour avec Sao Phim et Ta Mok la position de numéro trois du Parti. Les purges dans son ministère étaient conduites par la branche spéciale de la sécurité dite S-21 sous la direction de Nuon Chea et de Son Sen à qui étaient envoyées les confessions entraînant les arrestations. Ieng Sary a très certainement reçu deux confessions qui lui étaient destinées, dans lesquelles étaient évoqués des massacres et des arrestations en province, avec des listes de traîtres. Il reconnut en janvier 1999 avoir reçu des télégrammes émanant des zones à propos d’éliminations de membres du Parti. Le 17 avril 1977, il déclarait que le peuple cambodgien et l’armée Révolutionnaire avaient “ détruit toutes les intrigues de l’ennemi, et écrasé leurs réseaux d’espions ” préservant ainsi les fruits de la révolution. Plusieurs biographies de prisonniers, de confessions et de notes d’interrogateurs de S-21 montrent que le Ministère des Affaires Etrangères servait de lieu de rétention à des cadres sur le point d’être emmenés à S-21 (Tuol Sleng). Laurence Picq avait donné à B-1 le surnom d’ “ antichambre de la mort ” ou d’antichambre du service de sécurité [7] . Elle avait assisté à l’arrivée à B-1 et à la promotion de nombreux cadres du Nord-Ouest et de leur famille qui faisaient même la pluie et le beau temps à B-1, avant d’être purgés en raison de la désorganisation de l’agriculture et des conflits avec la Thaïlande dont ils étaient supposés être responsables (il est intéressant de noter qu’elle pensait que Roat avait été arrêté, alors qu’il était encore vingt ans plus tard conseiller du président de l’Assemblée Nationale Chea Sim). Avant leur arrestation, les ambassadeurs au Laos et en Corée, Meak Touch alias Kaem et Saev, avaient aussi été transférés à B-1 pour recyclage et consultation – et Meak Touch fut encore enfermé seul du 24 juillet au 20 novembre 1977 avant d’être transféré au ministère de la Sécurité. On leur avait laissé augurer des fonctions plus importantes. Quelques jours avant la disparition de Vorn Vet, Laurence Picq le croisa allant au bureau de réunion de Ieng Sary en même temps qu’elle allait à son travail [8] (le sens de cette rencontre entre les deux dirigeants prête à conjectures). Lors d’un congrès en juillet 1976, au moment où était passée en revue la situation de Défense du pays, la position du ministère était qu’il y avait dans le pays “ de 1 à 5% de traîtres, qui font un travail de sape. Aussi devons-nous examiner leurs biographies personnelles et exercer l’auto-critique, surtout au ministère des Affaires Etrangères. Les ambassades désirent connaître [notre] direction afin de le rapporter à leurs pays, ou pour d’autres raisons ” [9]. En 1996, recevant de Sihanouk le pardon royal, Sary fonda le Mouvement National d’Union Démocratique.

- In Samboc: né en 1931 à Kompong-Cham. Cousin germain de In Sokan. Elève à l’école technique de Russey Keo. Arrivé en 1950, il logea à la Maison d’Indochine puis au 28, rue Saint-André-des-Arts en 1952. Boursier inscrit en cours supérieur à l’Ecole Française de Radio-Electricité, rue Amiot, il devint membre de l’A.E.K. et commissaire aux activités sociales de l’U.E.K. en 1956, avant de rentrer au Cambodge en 1958. Sa trace a semble-t-il disparu après l’évacuation de Phnom Penh en 1975.

- In Sokan (alias camarade Ta Ny) : né le 28 juin 1929 à Phnom Penh de In Cham, gouverneur de province et de Madame Kim. Elève au collège Preah Sihanouk de Kompong Cham et au lycée Sisowath de Phnom Penh. Il arriva en France en 1949 et devint Docteur en médecine en décembre 1958. Membre de la cellule du P.C.F. de la maison d’Indochine à Paris, où il aurait été sympathisant communiste sans être membre du Parti, il devint plus tard un des animateurs du Cercle d’études marxistes et président de l’U.E.K à la fin de l’année 1956, alors qu’il entamait sa 5e année de médecine. Il adhéra au Sangkum en janvier 1960, mais repartit le 27 septembre 1960 en France, sans doute à cause de la répression qui touchait les journalistes de gauche en août-septembre. Il s’inscrivit à la Faculté de Pharmacie de Paris jusque vers 1964 grâce à une bourse du gouvernement français. A son retour, il dirigea le service de phtisiologie à l’hôpital de l’amitié khméro-soviétique, puis le service de lutte anti-tuberculose. Il enseignait aussi la physionomie à la Faculté de Médecine, était inspecteur-adjoint de la Santé publique et travaillait en Europe à la Food and Agriculture Organization (l’Institution des Nations Unies). Président de la délégation du FUNK en France, sise place de Barcelone jusqu’en décembre 1975, il travailla, sous le K.D., au Ministère de la Santé et des Affaires Sociales de Ieng Thirith, délivra des soins à l’hôpital Preah Ket Mealea, dans un état “ devenu apathique ”, et traita les maladies pulmonaires à l’Hôpital du Dix-Sept Avril (ancien hôpital des Bonzes dit Lok Sâng) [10]. Il fit un bref séjour à la campagne au terme duquel il revint un peu grossi, ce qui alimenta abondamment la propagande selon laquelle on mangeait mieux à la campagne qu’à Phnom Penh. Il aurait succombé des suites d’une maladie consécutive à une carence en sel, pendant la retraite révolutionnaire, dans la région de Leach, peu après être passé par le Quartier Général de Ta Mok à Phnom Aural en février 1979 pour y organiser un hôpital de front [11].

- In Sophann : frère du précédent. Né le 5 février 1938 à Takeo. Ingénieur des Arts et Manufactures de Paris ou de l’Ecole Centrale de Paris en 1963, il adhéra au Sangkum en 1964. Ingénieur principal des mines et président général de la société nationale des tracteurs. Dès son retour au K.D., il fut affecté dans une usine de tracteurs et purgé avec Hin Chamron et Toch Phoeun, conduit à S-21 le 8 février 1977 et exécuté le 3 mars.

- In Sopheap (alias Mi): frère cadet du précédent. Elève au Lycée français Descartes en 1962-1963. Influencé par l’étude de la Révolution française dans ce lycée sous administration française il critiquait, comme d’autres, l’absolutisme de la monarchie. A l’époque, les étudiants avaient en tête l’image de l’île-prison de Poulo Condore, où avaient été envoyés les prisonniers politiques Hem Chhieu, Pach Chhœun, et Boun Chan Mol (cette prison au large du Sud-Vietnam avait servi “ d’écoles du bolchevisme ” et de lieu de recrutement du P.C.I. tant les conditions d’emprisonnement y étaient éprouvantes [12]). Sopheap travailla comme correcteur à la Dépêche du Cambodge. Licencié ès-maths à Phnom Penh en 1969, il se rendit en France comme boursier du gouvernement français et obtint son diplôme d’ingénieur à l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris. Alors qu’il avait été membre, à la fin des années soixante au Cambodge, du comité exécutif de l’Association Générale des Etudiants Khmers (pro-chinoise) dirigée par Phouk Chhay , il devint membre du comité directeur de l’U.E.K. à Paris. A partir de 1972 il servit le FUNK à Pékin comme secrétaire de Ieng Sary, puis quelques mois à Hanoi, sous la direction de Ieng Thirith pour la radio du FUNK. Il devint membre de la ligue de la jeunesse communiste du Kampuchéa à Hanoi sur recommandation de Ieng Thirith avant de se joindre au maquis communiste en 1974, et de se mettre au service du ministère des Affaires Etrangères du K.D.. Son équipe se livrait, dans le cadre des tâches manuelles, au nettoyage du ministère de la Défense. A partir de 1979, il se mit à travailler pour la radio du K.D. à Pékin, puis comme conseiller à l’ambassade du K.D. à Pékin de 1979 à 1981. Ensuite, il fit partie de la délégation du K.D. à l’ONU en poste à Genève, fut envoyé à l’ambassade du K.D. en Egypte, et y fut nommé ambassadeur en 1985 à la place de Chan Youran. Il fit partie de la délégation du K.D. au Conseil National Suprême pendant la période de présence de l’APRONUC (ONU), ainsi que du Parti de Grande Union Nationale du Kampuchéa dirigé à partir de 1992 par Khieu Samphan et du gouvernement provisoire d’Union Nationale du K.D. après les élections de 1993. Il est actuellement membre de la Direction Nationale du MUND (le parti de Ieng Sary), après avoir quitté la zone de Ta Mok en juin 1998.



[1] Heder n’a pas connaissance d’un numéro de code pour Ieng Sary. Le Documentation Center of Cambodia pense qu’il était Frère 81, mais Heder estime que ce pouvait être Sao Phim (frère 18). Le 9 septembre 1976, au moment où avait lieu une réunion de l’état-major en présence de frère 81, Ieng Sary était en route pour Mexico. La radio officielle indiquait qu’il était parti le 3 septembre pour aller le 14 à une réunion du Centre d’Etudes Economiques et Sociales du Tiers-Monde. De plus, son nom ne figurait pas au bas du message envoyé à la Chine le 9 septembre 1976 par des dirigeants du K.D. à l’occasion de la mort de Mao.

[2] François Debré, op. cit., p.81. Le problème est qu’il fait également de Saloth Sar un Vietnamien. 

[3] Selon Keng Vannsak, qui fut son ami d’enfance, entretien du 4 mars 1998.

[4] Ponchaud, op. cit., chapitre X. M.-A. Martin, op. cit., p.160. Ariane Barth, Tiziano Terzani Holocaust in Kambodsha, Dokumentation Anke rashataswan, p.216. Entretien en 1998 avec Mr. Z. qui l’a bien connu.

[5] Henri Locard, Conversations avec Ieng Sary, Mey Man, Suong Sikœun & Long Norin, liés au mouvement révolutionnaire cambodgien, 1999, pp.3 et 10. Autres versions : Keng Vannsak affirme qu’il avait pris l’acte de naissance de son cousin, dont le nom était Ieng Sary. Entretien du 4 mars 1998. Elizabeth Becker, rapporte, qu’il a falsifié un certificat de naissance pour se rajeunir et avoir l’âge requis pour rentrer dans un établissement provincial du Cambodge, op. cit., p.64. François Debré, Cambodge, la révolution de la forêt : l’inspecteur des pagodes, khmer, s’arrange avec l’administration, et lui obtient un certificat de naissance au Cambodge, lui permettant d’entrer au collège Svay Rieng, malgré son grand âge. Le même inspecteur lui trouve un logement chez le prince Indravong, dont le frère anime le mouvement démocrate.

[6] Henri Locard, Deux utopistes khmers en France : Thiounn Mumm & Vandy Kaonn, inédit, p.46.

[7] Steve Heder, Documentary evidence linking ..., may 1999, pp.57-59, 64. Heder & Tittemore, Seven Candidates for prosecution  …, p.73. Laurence Picq, “ I remember What Ieng Sary Did ”, Far Eastern Economic Review, October 10, 1996, p.38. 

[8] Témoignage dactylographié, pp.231-234, 312, 338.

[9] Ieng Sary’s Regime : a Diary of the Khmer Rouge Foreign Ministry, 1976-1979, p.30. www.yale.edu/cgp. Searching for the Truth, N°4, April 2000, p.11.

[10] Anne Yvonne Guillou, Les médecins au Cambodge..., thèse, EHESS, 2001, “ 1 - La hiérarchie médicale...”. Ong Thong Hoeung, Illusions perdues, version inédite de septembre 2001, p.53.

[11] Communications personnelles de Suong Sikœun, 31 mars 1999.

[12] Duiker, Historical dictionnary of Vietnam.

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